10
« Je suis inquiète », soupira Hémet.
Elle était assise sur le lit, les genoux remontés sous le menton. Elle frissonna sous la froide brise du soir et resserra son châle de laine blanche autour de ses épaules nues. À demi allongé auprès d’elle, Sénofer fit une tiède tentative pour la redéshabiller.
« Cette histoire ne tient pas debout », dit-il d’un ton qui se voulait rassurant.
Il retourna dans son cœur ce qu’elle lui avait appris. Atirma faisait suivre Huy. De son espion, il tenait qu’Héby avait été aperçu en ville et il s’en était ouvert à son épouse. Depuis longtemps, Sénofer jugeait Atirma peu digne de confiance. Cette fois, il avait la preuve – si besoin était – qu’il ne savait pas non plus tenir sa langue.
« Si Héby était revenu à la cité de la Mer, il aurait trouvé moyen de nous contacter. N’oublie pas que nous sommes ses amis.
— Ses alliés, peut-être. Quant à être ses amis, je ne sais pas.
— Cela revient au même.
— Atirma et toi êtes des alliés, pourtant, ta conduite envers moi n’est pas celle qu’un homme attendrait de la part d’un ami. »
Sénofer sourit. Atirma se doutait de l’infidélité de son épouse, mais sans connaître l’identité de l’amant. Il aurait dû y être habitué : Hémet était une incorrigible coquette. Elle aimait se rassurer, penser que sa beauté exerçait toujours son ascendant. Qu’elle pût voir en lui son esclave amusait infiniment le jeune prêtre.
« Je vais lui dire la vérité ! prétendit-il d’un air résolu. Je vais lui avouer notre amour et lui demander de t’accorder le divorce. Seulement… reprit-il, feignant de réfléchir, je me demande comment ton père réagirait. Kamosé est un homme impulsif ; il te rayerait de son testament. »
Heureuse de cette échappatoire, Hémet se blottit contre lui.
« Et moi, je craindrais pour ta sécurité… »
Elle lui tendit les lèvres. Un divorce était bien la dernière des choses qu’elle désirait ! Sénofer avait de nombreux avantages sur Atirma : il était séduisant, intelligent et ambitieux. Mais il n’était pas aussi riche et devrait partager son héritage avec son frère. Hémet n’avait pas l’intention de payer si cher quelques heures d’amusement. Seule la mort de son époux mettrait un terme à leur mariage, à moins qu’elle fût sûre, ce qui n’était pas le cas, de pouvoir revendiquer au moins la moitié de sa fortune. S’il partait avant elle vers les Champs d’Éarrou, elle hériterait de la totalité.
Sénofer savait fort bien ce qu’elle pensait. Il caressa les cheveux soyeux qui frôlaient sa joue tandis qu’elle se nichait à nouveau contre lui. Atirma et Kamosé étaient très proches. L’époux d’Hémet était compromis jusqu’au cou dans le trafic d’esclaves, même s’il n’était qu’un simple comparse. Sénofer se félicita d’avoir su garder les mains propres. Son père avait trempé dans le complot, de même que Douaf, mais Méten et lui étaient à l’abri de tout soupçon car ils avaient eu soin de s’allier à Héby et à son beau-père. Sénofer se rappela leur première réunion. Avec quelle ardeur vertueuse le jeune soldat avait parlé de nettoyer ce cloaque ! Ç’avait été un cadeau providentiel pour les deux frères – cela, et la cupidité des dirigeants de la cité. Si Atirma était entraîné dans leur chute, ses domaines seraient confisqués par le roi, représenté par le général Horemheb. Et si Horemheb souhaitait récompenser celui qui avait dénoncé des crimes envers l’État, ces mêmes domaines constitueraient un cadeau idéal.
Ainsi, Sénofer hériterait des terres d’Atirma et, par-dessus le marché, de son épouse. Quant à elle, elle hériterait des biens de Kamosé.
La tête d’Hémet s’alourdit sur son épaule : elle s’était endormie. Il écouta son souffle régulier et paisible, en caressant distraitement son cou. Elle avait une odeur aigre après l’amour et déjà il commençait à s’en lasser. Mais il devait parvenir à ses fins avant de la quitter. Combien de temps encore ? Il calcula avec plaisir : tout au plus quelques semaines.
Huy n’aimait pas prendre son serviteur pour confident, mais il était seul et avait besoin d’un allié. Il avait aussi besoin de clarifier ses idées en les exposant et Psaro, en trouvant la boucle, était devenu une sorte de partenaire.
« Cette boucle a pu appartenir à n’importe quel soldat, raisonna le scribe. Nous sommes dans une ville de garnison. Et de plus, si Huy était ici, il se garderait bien de porter son uniforme.
— Pourtant dame Aahmès est sûre de l’avoir vu. Et, toi-même, tu n’es pas loin d’y croire », fit valoir Psaro, croisant ses longs bras sur ses genoux.
Silencieux, Huy dut reconnaître qu’il disait vrai. Mais pourquoi y croyait-il, sinon parce qu’il en avait envie ? En l’absence de toute preuve, c’était un argument bien mince.
« Pour quelle raison serait-il revenu ? s’interrogea-t-il.
— Pour se montrer à sa mère, suggéra le Kouchite. Pour qu’elle sache qu’il est encore en vie.
— Le moyen était terriblement risqué. Il aurait pu lui écrire, en joignant un signe prouvant que la lettre provenait bien de lui.
— Il tenait peut-être à la voir de ses yeux.
— Non. S’il est là, c’est qu’il n’est jamais parti. Mais enfin ! Quel dessein le pousserait à agir ainsi ? »
Les deux hommes restèrent silencieux, leur différence de condition s’effaçant pendant qu’ils réfléchissaient ensemble.
« Nous nous laissons aveugler par un détail, dit enfin Huy. Dans quelle situation, dans quel état d’esprit se trouvait Héby ? Voilà ce qui importe. Était-il amoureux ? Souffrait-il pour Menouhotep, en le voyant tomber de plus en plus bas ? Et, à ce propos, comment expliquer que son beau-père en soit arrivé là ?
— S’il n’a pu prolonger ses crédits…
— Ridicule ! Tout le monde sait qu’il y aura toujours un marché pour le cèdre et qu’une fois la guerre finie, ce qui ne tardera guère, les routes commerciales se rouvriront. Tous ceux qui, dans cette branche, ont essuyé des revers de fortune seront bientôt capables de rembourser leurs dettes avec intérêts. Aider l’un d’entre eux constituerait un placement sûr.
— Néanmoins, personne n’a voulu le faire, constata Psaro.
— Menouhotep est fier. Peut-être trop pour solliciter de l’aide.
— Quel homme conserverait ce genre de fierté, quand les siens risquent de coucher dans la rue et de mourir de faim ? »
Sans raison précise, l’image d’Ipour surgit dans le cœur de Huy. Elle était si nette qu’il en tressaillit, car il n’avait jamais vu le prêtre et ignorait à quoi il ressemblait ; alors il se rendit compte qu’il avait attribué au défunt des traits présentant une vague ressemblance avec ceux de Douaf.
On eût dit qu’Horus lui envoyait un signe…
Le pavillon lui semblant de plus en plus oppressant, Huy passait le plus clair de ses journées dehors. Il avait une prédilection pour la terrasse d’une petite taverne, à mi-hauteur d’une rue ombragée où poussait une profusion de fleurs violettes. La voie menait de la place du port au quartier ouest. C’est là que les deux hommes étaient installés quand, de son siège, prenant conscience d’un mouvement au bas de la rue, Huy reconnut soudain la silhouette de Chérouiri qui se hâtait vers eux. Il était encore tôt, pas plus de la troisième heure de la barque-matet, et la vue de l’intendant, courant presque alors que la ville entière était assoupie, fit battre son pouls à toute allure. Un événement grave s’était produit.
« J’étais sûr de te trouver ici ! dit Chérouiri, essoufflé. J’arrive de chez Kamosé avec une mauvaise nouvelle. »
Huy pensa que la guerre avait repris. Tout avait été trop calme… Un bataillon de Khabiri marchait-il vers la ville ?
« Douaf est mort. »
Étrangement, Huy ne fut qu’à demi surpris. Sans mot dire, il regarda en lui-même : son intuition était-elle revenue ? Il repensa à la vision qu’il avait eue d’Ipour, doté du visage de Douaf.
« Quelle est la cause du décès ?
— L’unique certitude est qu’il ne s’agit pas d’un accident. On l’a trouvé dans la resserre, à l’arrière de sa maison. Le verrou était poussé, si bien que les serviteurs ont dû défoncer la porte… »
La voix de Chérouiri mourut. Le scribe remarqua son trouble et eut l’impression que celui-ci n’était pas seulement dû à la mort de Douaf, mais il attendit la suite en silence.
« Il avait le crâne fracassé. Je n’ai pas vu le corps.
— Qui, alors ?
— Ses serviteurs et sa fille, Nofretka, qui était présente quand ils ont cassé la porte.
— Où est-elle, en ce moment ?
— Chez elle. Aussitôt alerté, le capitaine mézai a envoyé un message à la résidence. Je suis allé chez Douaf proposer mon aide. Nofretka préfère rester là-bas jusqu’à ce qu’on emporte son père dans la tente de purification. C’est une jeune fille courageuse ; heureusement pour elle, car elle devra se montrer forte. Elle est seule au monde, désormais. »
À nouveau, une lueur troublée apparut dans ses yeux.
« Si la porte de la resserre était verrouillée, c’est qu’une autre issue existe, observa Huy. Nous devons la découvrir. Viens. »
Lorsqu’ils arrivèrent chez Douaf, sa dépouille avait été emportée, mais un officier mézai et trois jeunes gardes à l’air effrayé restaient postés devant la demeure, maintenant à distance une petite foule de curieux. Les visages étaient loin d’exprimer la peine ou la compassion et Huy entendit même, non sans surprise, deux ou trois imprécations contre Douaf et son ka. Une telle animosité était inhabituelle.
« Il n’était pas vraiment connu pour sa charité, commenta Chérouiri. Nous entrons ? »
Néanmoins, il hésitait devant la porte, répugnant à franchir le seuil, quand Nofretka apparut.
Huy ne s’attendait pas à tant de beauté. De son côté, elle le contemplait avec un intérêt mêlé de curiosité en s’approchant de lui.
« Tu es Huy, dit-elle comme si elle se bornait à constater une évidence. Nous avons de la chance que tu sois là.
— Je compatis à ta douleur, dit le scribe, se rappelant que la mère de la jeune fille avait également disparu.
— Nous devons nous incliner devant les dieux, qui régissent notre destinée. »
Elle hésita, encore dans cet état d’hébétude qui suit immédiatement une tragédie et qui est le prélude au chagrin. Huy lui prit la main et remarqua l’intensité avec laquelle elle observait la sienne. Puis elle leva les yeux et le dévisagea avec le même intérêt déroutant.
Il la suivit dans la maison. Hésitant à nouveau, elle s’arrêta dans la première cour, où les serviteurs de Douaf s’étaient assemblés, ne sachant que faire.
« Pardonne-moi, je ne me sens pas la force de retourner là où on l’a trouvé, expliqua-t-elle à Huy. Parénefer te montrera le chemin. »
Elle appela d’un geste l’un des domestiques, un grand gaillard placide qui ne semblait pas du genre à craindre les fantômes.
« Vous venez ? dit le scribe à Psaro et à Chérouiri.
— Je dois retourner chez le gouverneur, précisa l’intendant. Il attend mon rapport.
— Il aura celui du capitaine mézai et, en tout état de cause, si nous découvrons quelque chose, tu en auras plus à lui apprendre.
— Kamosé m’a donné l’instruction de te ramener à la résidence dès que possible. En partant en avant, je pourrai au moins justifier ton retard.
— Qui restera auprès de Nofretka ? s’inquiéta Huy, ému par la jeunesse de l’orpheline.
— Mes serviteurs veilleront sur moi, répondit-elle. De plus, je dois me rendre à la tente de purification afin de parler au Contrôleur des Mystères. Tout doit être préparé pour le voyage de mon père dans la Barque de la Nuit. »
Adressant un petit signe du menton à Psaro, Huy suivit Parénefer à l’intérieur de la maison. Juste avant de quitter la cour, il se retourna et vit Chérouiri avancer, les bras tendus, vers la jeune fille, qui se raidissait à son approche. Toutefois, le scribe n’avait ni le temps ni l’opportunité de réfléchir à cette scène, qui n’avait peut-être pas d’importance réelle. Parénefer avançait devant lui d’un pas calme mais déterminé.
Ils traversèrent encore deux cours, l’une grande, l’autre exiguë, et parvinrent devant les pièces de service. À voir l’extérieur de la demeure, nul ne se serait douté de son immensité. Huy se trouvait dans un petit palais, dont la construction avait requis une fortune colossale. Parénefer s’arrêta enfin près d’une porte en acacia brunie par le temps, et fit coulisser un solide verrou en bois dans une cavité de pierre. Poussant la porte, il révéla une petite réserve tapissée d’étagères. Des jarres de vin y étaient soigneusement empilées au-dessus de jarres d’eau, plus volumineuses, et de coffres en bois renfermant du blé et de l’orge. Une simple table était placée dans un coin de la salle, par ailleurs dépourvue de meubles.
Huy jeta un regard circulaire sur la resserre, notant le plafond de plâtre et le sol de pierre. Pas de terre cuite dans une telle demeure ! pensa-t-il en effleurant, de la pointe de sa sandale, une des dalles de calcaire parfaitement taillées. Ensuite il dirigea son attention sur la table. Bien qu’il y eût amplement la place de la disposer au centre de la pièce, on l’avait repoussée contre des étagères dont elle gênait l’accès. Cet agencement semblait à l’encontre du rangement méticuleux des provisions. D’autant plus, conjectura Huy, que cette table devait avoir pour fonction de recevoir les aliments et les liquides à mesurer. En bonne logique, elle aurait donc dû se trouver à un endroit où l’on pouvait en faire le tour commodément. Huy s’en approcha et tenta de la soulever. Elle n’était pas lourde, en dépit de sa taille. Un seul homme pouvait la déplacer aisément.
Il interrogea Parénefer, qui se gratta le menton. La pesanteur de son esprit, qui n’avait d’égale que la lenteur de ses gestes, commençait à agacer le scribe.
« Normalement, elle est au milieu, confirma enfin le serviteur.
— Qui l’a changée de place ?
— Ça, je ne sais pas. Peut-être les Mézai.
— Où a-t-on trouvé le corps ? »
Parénefer le fixa sans comprendre.
« Dans quelle partie de la pièce ? Peux-tu me la montrer ? » poursuivit Huy, presque à bout de patience.
Après mûre réflexion, Parénefer désigna sans mot dire le centre de la resserre. Huy s’agenouilla. Sur les dalles, il distingua des traces de sang séché, mais aussi une décoloration indiquant que Douaf gisait à l’endroit où la table était ordinairement placée. D’anciennes éraflures suggéraient en outre qu’on avait traîné quelque chose par terre, mais ni la table ni le corps n’auraient été assez lourds pour rayer la pierre de cette façon.
« La table était déjà sur le côté, conclut le scribe en se relevant, remarquant non sans déplaisir une certaine raideur dans ses articulations. Tu n’y as pas fait attention ?
— Je ne suis pas entré le premier.
— Maître ! » s’écria Psaro en s’agenouillant à son tour.
Sa posture était celle d’un traqueur du désert tandis qu’il scrutait le sol avec des yeux qui, soupçonna Huy, n’étaient pas seulement plus jeunes que les siens, mais aussi plus perçants.
Il examinait une dalle légèrement excentrée, sur laquelle un des pieds de la table aurait reposé si elle avait occupé sa position habituelle. Sous le regard attentif du scribe, Psaro poussa la pierre, qui céda légèrement sous la pression de ses longs doigts.
Huy supposa que ses compagnons et lui devraient conjuguer leurs efforts pour la déplacer, cependant Psaro lui fit signe de reculer et palpa délicatement la dalle. Finalement, il trouva l’endroit qu’il cherchait et appuya avec douceur. Sans un bruit, elle bascula sur un pivot invisible et révéla une ouverture large d’une bonne coudée, où s’enfonçaient des marches d’un noir luisant.
« Voilà par où le meurtrier s’est enfui ! dit Psaro.
— Qui connaissait ce passage ? demanda Huy à Parénefer, qui fixait l’ouverture, bouche bée.
— Personne ! Je suis ici depuis vingt ans et je ne m’en étais jamais douté.
— Il nous faut des torches.
— J’apporte aussi des épées. Il pourrait y avoir des démons.
— Plutôt des crocodiles. »
Mais, en dépit de l’atmosphère sépulcrale, aucun monstre n’était tapi dans le tunnel. Prudemment, ils le parcoururent sur toute sa longueur, examinant les parois lisses en frissonnant dans l’humidité glacée. Il débouchait, comme Huy le pressentait, à proximité du port principal, dans un petit abri à bateaux appartenant à Douaf. L’abri était vide. Ils refermèrent soigneusement la trappe par où ils étaient sortis, et qui fonctionnait également grâce à un mécanisme à pivot, puis regagnèrent la maison en passant par la ville. Aucun d’eux n’avait envie de s’aventurer à nouveau dans le tunnel. De retour dans la resserre, ils refermèrent la dalle. Personne ne les avait vus revenir : Chérouiri et Nofretka étaient partis, et les serviteurs vaquaient à leurs occupations dans la maison. Seuls les jeunes Mézai montant la garde à l’entrée les observèrent d’un air éberlué, mais ils reportèrent bien vite leur attention sur le petit groupe de spectateurs qui tardaient encore à se disperser. Huy songea que c’était aussi bien.
« Ne parle de tout cela qu’à Nofretka, recommanda-t-il à Parénefer. Et dis-lui que je reviendrai la voir bientôt. »
Sous leurs pieds, cachée dans l’alcôve secrète que l’assassin de Douaf avait fermée avec respect et que Huy n’avait pu découvrir, Méritrê continuait à dormir dans l’obscurité et la solitude qui seraient siennes de toute éternité.
Huy préférait ne pas se fier à Parénefer. Il ordonna donc à Psaro, pour la plus grande satisfaction du Kouchite, de transmettre personnellement son message à Nofretka et il reprit seul le chemin de la résidence. À mi-chemin de la colline, il s’arrêta pour tamponner son front en sueur et regarda autour de lui si une chaise à porteur passait dans les parages. Après l’exaltation causée par la découverte du tunnel, il ressentait une profonde lassitude. C’était bien beau d’avoir trouvé comment le meurtrier de Douaf s’était échappé, mais cela ne le renseignait pas sur son identité. Or, il savait d’avance quelle serait la première, voire l’unique question que lui poserait Kamosé. Elle intriguait également Huy, et déjà son cœur infatigable s’acharnait à la résoudre, quand tout le reste de son corps n’aspirait qu’à la paix et au repos.
Quand enfin il trouva une chaise à porteur, elle était tirée par un vieillard si cassé qu’il en eut pitié. Il lui donna un demi-dében[30] de cuivre et lui dit de poursuivre son chemin. Le vieux déversa sur lui un flot d’invectives, insulté par ce geste suggérant qu’il n’était plus capable de travailler. Huy s’éloigna à la hâte de ce tapage et, par la pensée, secoua son calame pour en faire tomber quelques gouttes d’encre en hommage à Imhotep. Puisse le dieu protéger tous les scribes contre la malédiction des vieillards ! Il n’existait rien de pire, car ils y concentraient leurs dernières forces et ils n’avaient plus rien à perdre.
Huy trouva Kamosé vêtu pour partir, sa litière attendant devant la résidence.
« Où étais-tu ? » interrogea le gouverneur avec impatience.
Huy lui relata ce qu’il jugea bon, sans mentionner le tunnel. Kamosé baissa la tête d’un air soucieux.
« Les temps sont durs. J’espérais que tu éluciderais le meurtre d’Ipour, et voilà que le crime semble proliférer dans notre ville. »
Il parlait à la fois comme si la présence de Huy aurait dû exercer un effet préventif et comme s’il lui imputait cette escalade de violence. Mais sa voix était détachée et son cœur paraissait ailleurs.
« Je découvrirai comment l’assassin de Douaf s’est sauvé, déclara Huy avec assurance.
— Cela nous aidera-t-il à le retrouver ? »
Ainsi, comme Huy l’avait craint, Kamosé ne se contenterait pas de broutilles. Il posa justement la question que redoutait le scribe :
« Ce meurtre a-t-il un lien avec la mort d’Ipour ?
— Je ne sais pas.
— Empresse-toi de le découvrir. Pour ma part, j’y vois les manœuvres de nos ennemis. Ils se savent vaincus et frappent aveuglément, par les moyens les plus sournois. »
Quelque chose sonnait faux dans cette belle rhétorique. Huy se promit d’y réfléchir plus à loisir.
« Où vas-tu ? » demanda-t-il.
Kamosé parut surpris, puis furieux de cette question directe, toutefois il consentit à répondre :
« Je vais rejoindre Ouserhet avec mon gendre Atirma. Nous sommes les derniers bastions de cette cité. Nous pourrions être la cible d’un complot.
— Pourquoi ne les as-tu pas convoqués ici ?
— Le camp militaire est plus sûr.
— T’y installeras-tu ?
— Non, mais je reviendrai avec une escorte. Ai-je satisfait à toutes tes questions ? »
Pas tout à fait, pensa Huy. Néanmoins, il hocha la tête et garda le silence. Involontairement, Kamosé l’avait convaincu de ce qu’il subodorait déjà. Dans cette petite ville, tout était lié et la coïncidence n’avait pas sa place. Sa prochaine tâche consisterait donc à découvrir le point commun entre Douaf et Ipour.